En 1665, sur invitation de Louis XIV et de Colbert, le grand artiste italien Lorenzo Bernini (1598-1680), dit « Le Bernin » et « Le Cavalier Bernin », quitte Rome et se rend en France pour donner son avis sur l’achèvement du Louvre à Paris et notamment sur les différents projets d’architecture concernant cet immense palais. À Paris, Le Bernin loge à l’hôtel de Frontenac, ce que nous pouvons lire dans le « Journal du voyage du Cavalier Bernin en France », journal de sa visite écrit par l’ingénieur et collectionneur Paul Fréart de Chantelou (1609-1694) :
Dans ces sortes d’entretiens, nous sommes arrivés à Paris, à l’hôtel de Frontenac que Monsieur Colbert avait fait préparer pour y loger le Cavalier et sa famille. À la descente du carrosse, nous avons trouvé Monsieur du May intendant des meubles et commis de Monsieur Colbert, lequel a reçu et complimenté le Cavalier, l’a mené dans la chambre qu’on lui avait préparée. Elle était fort proprement meublée et accommodée. Il lui a montré après une galerie, des cabinets et autres commodités. |
Les projets du Bernin pour le Louvre ne sont finalement pas retenus. En effet, Jean-Baptiste Colbert lui préfère un projet plus classique qui est celui de Claude Perrault, ouvrant la voie à un art proprement français.
Il reste néanmoins de ce séjour du Bernin à l’hôtel de Frontenac la réalisation d’un grandiose buste du roi Louis XIV, d’abord placé au Louvre à la fin de l’année 1665 puis aux Tuileries et enfin au château de Versailles dans le Salon de Diane des Grands appartements du roi.
C’est la copie de ce buste en bronze sur un socle en granit blanc qui se trouve actuellement installée depuis 1931 sur la place Royale de Québec devant l’église Notre-Dame-des-Victoires. Cette copie de l’œuvre du Bernin succède à un autre buste qui avait été placé en novembre 1686 par l’intendant de la Nouvelle-France Bochart de Champigny afin que les habitants de Québec connaissent mieux le physique de leur roi, étant donné que le Roi-Soleil n’avait pu envisager une visite outre-Atlantique. Le buste de Louis XIV est donc présent donc pendant tout le deuxième gouvernement de Frontenac. Le lieu est de grande importance car la place Royale représente à cette période alors environ un quart des habitants de Québec : ainsi au recensement de 1681, on compte 309 habitants qui résident autour de la place Royale pour un total de 1.282 habitants dans toute la ville.
Sur le cartouche de la carte de la Nouvelle-France établie par le géographe Jean-Baptiste-Louis Franquelin en 1688 et représentant la ville de Québec, on peut voir un figuré qui mentionne justement l’emplacement de ce buste du Roi-Soleil.
On peut également observer dans le plan de Québec réalisé sous Frontenac en 1690 par l’ingénieur Robert de Villeneuve une indication de la « Place où M. de Champigny, intendant du pays, a fait poser en 1686 l’effigie de Sa Majesté ». Cette œuvre bouge régulièrement, on apprend ainsi dans la lettre que l’intendant Champigny écrit le 15 octobre 1700 au ministre, que des « fréquentes représentations » furent faites « à M. de Frontenac » et à Champigny « par les habitants de Québec que la place de la basse ville avait été rendue presqu’inutile au public et à l’usage des charrois par l’espace qui était occupé par le buste du Roy » : les autorités le font donc déplacer. Mais finalement, après plusieurs échanges, le ministre indique le 6 mai 1702 au gouverneur Callières que « Sa Majesté trouve bon que vous le fassiez remettre dans la grande place ».
Le buste disparaît ensuite à partir de cette année 1702, sans doute ramené avec lui en France par l’intendant Champigny. Puis, beaucoup plus tard, la copie du buste faite par Le Bernin à l’époque de Frontenac est donc installée de manière définitive en 1931, contribuant à populariser encore davantage cette représentation du Roi-Soleil faite par un des plus fameux artistes du Grand Siècle.
[Texte extrait de la thèse de doctorat de Nicolas Prévost]