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L’esclavage et son abolition dans les colonies françaises

vendredi 23 novembre 2012, par Nicolas Prévost

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L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises
Tableau de François-Auguste Biard (1799-1882), Musée du Château de Versailles

L’abolition de l’esclavage, dans les colonies françaises où il était pratiqué, est symbolisée par un député français : Victor Schœlcher. Son action aboutit en 1848 à la fin définitive de l’esclavage dans tous les territoires français d’outre-mer. Mais le processus ayant conduit à l’abolition date, lui, de plusieurs siècles et est entamé à la fois par le pouvoir royal français et par les institutions de l’Église catholique.

Définition de l’esclavage

Un esclave est un être humain soumis à un régime économique et politique qui le prive de liberté et le contraint par la force à réaliser les travaux les plus pénibles sans rémunération.

L’esclavage, asservissement de l’homme par l’homme, est un phénomène qui a toujours existé dans l’histoire de l’humanité. Il a été pratiqué dans toutes les civilisations depuis l’Antiquité. Au 5ème siècle avant Jésus-Christ, à l’époque de la Grèce classique, Athènes compte de nombreux esclaves qui sont souvent des prisonniers faits pendant des guerres. De même, l’Empire romain pratique également l’esclavage.

La mise en place de la traite négrière et sa contestation

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Conquérant arabe capturant des esclaves en Afrique
Dessin de René Geoffroy de Villeneuve (1767-1831), BNF

Commencé dès le 7ème siècle suite à l’expansion de l’Islam en Afrique, la traite négrière vers les pays musulmans (traite trans-saharienne et traite orientale) dure pendant des siècles. Des marchands arabes font des razzias en pays africains et y capturent des esclaves noirs. Dans le même temps, de nombreuses sociétés africaines pratiquent l’esclavage.

Suite à la découverte de l’Amérique par les Européens en 1492 et aux premières conquêtes sur ce continent, les Portugais sont les premiers à acheter des esclaves à des marchands africains pour les déporter en Amérique, prétextant le besoin de main-d’œuvre. Plusieurs autres pays européens font rapidement de même.

Il faut toutefois rappeler deux choses importantes concernant la France. En France, de même qu’en Nouvelle-France, l’esclavage sera toujours interdit selon le principe édité par le roi Louis X le Hutin en 1315 : « Le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche » (c’est ce principe qui sera d’ailleurs mis en avant par Victor Schœlcher pour l’abolition définitive de l’esclavage dans tous les territoires français en 1848). Cet Édit du roi Louis X le Hutin du 3 juillet 1315 est d’ailleurs une Loi fondamentale du Royaume de France.

D’autre part, la religion chrétienne condamne la pratique de l’esclavage, car elle considère que les êtres humains sont à égalité devant Dieu et qu’aucun être humain ne peut prétendre ou asservir un autre être humain. Ainsi, le 2 juin 1537, le pape Paul III (1534-1549), dans sa lettre Veritas Ipsa, interdit formellement l’esclavage, contraire selon lui au message de la religion catholique. Il confirme cette interdiction dans la Bulle Sublimis Deus le 9 juin 1537.

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Le pape Paul III (1534-1549), Alexandre Farnèse (1468-1549)
Tableau du Titien (1490-1576), musée Capodimonte de Naples

Lettre Veritas Ipsa du pape Paul III (2 juin 1537) condamnant l’esclavage

La Vérité elle-même, qui ne peut ni tromper ni se tromper, a dit clairement lorsqu’elle destinait les prédicateurs de la foi au ministère de la parole : « Allez enseigner toutes les nations ». Elle a dit toutes, sans exception, puisque tous les hommes sont capables de recevoir l’enseignement de la foi. Ce que voyant, le jaloux adversaire du genre humain, toujours hostile aux œuvres humaines afin de les détruire, a découvert une nouvelle manière d’empêcher que la parole de Dieu soit annoncée, pour leur salut, aux nations. Il a poussé certains de ses suppôts, avides de satisfaire leur cupidité, à déclarer publiquement que les habitants des Indes occidentales et méridionales, et d’autres peuples encore qui sont parvenus à notre connaissance ces temps-ci, devaient être utilisés pour notre service, comme des bêtes brutes, sous prétexte qu’ils ne connaissent pas la foi catholique. Ils les réduisent en esclavage en leur imposant des corvées telles qu’ils oseraient à peine en infliger à leurs propres animaux domestiques.

Or Nous, qui, malgré notre indignité, tenons la place du Seigneur sur terre, et qui désirons, de toutes nos forces, amener à Son bercail les brebis de Son troupeau qui nous sont confiées et qui sont encore hors de Son bercail, considérant que ces Indiens, en tant que véritables êtres humains, ne sont pas seulement aptes à la foi chrétienne, mais encore, d’après ce que Nous avons appris, accourent avec hâte vers cette foi, et désirant leur apporter tous les secours nécessaires, Nous décidons et déclarons, par les présentes lettres, en vertu de Notre Autorité apostolique, que lesdits Indiens et tous les autres peuples qui parviendraient dans l’avenir à la connaissance des chrétiens, même s’ils vivent hors de la foi ou sont originaires d’autres contrées, peuvent librement et licitement user, posséder et jouir de la liberté et de la propriété de leurs biens, et ne doivent pas être réduits en esclavage. Toute mesure prise en contradiction avec ces principes est abrogée et invalidée.

De plus, Nous déclarons et décidons que les Indiens et les autres peuples qui viendraient à être découverts dans le monde doivent être invités à ladite foi du Christ par la prédication de la parole de Dieu et par l’exemple d’une vie vertueuse. Toutes choses passées ou futures contraires à ces dispositions sont à considérer comme nulles et non avenues.

Donné à Rome, le 2 juin de l’année 1537, troisième de Notre Pontificat.

De nombreux papes font de même, notamment :

* en 1639, Urbain VIII (1623-1644) interdit la mise en esclavage des peuples indigènes du Brésil ;

* en 1741, Benoît XIV (1740-1758), dans la lettre Immensa Pastorum condamne les mauvais traitements infligés aux Amérindiens ;

* en 1815, Pie VII (1800-1823) demande au Congrès de Vienne la suppression de la traite d’esclaves. Dans une lettre du 20 septembre 1814, le pape avait écrit : « Pour bien se situer dans le sens des obligations morales, la conscience religieuse nous y pousse ; c’est elle en effet qui condamne et réprouve ce commerce ignoble par lequel les Noirs, non comme des hommes, mais simplement comme des choses vivantes, sont pris, achetés, vendus et pressurés jusqu’à la mort par des travaux très durs pour une vie déjà misérable. » Et il écrit aussi « à tous les ecclésiastiques ou laïques d’oser soutenir comme permis ce commerce des Noirs, sous quelque prétexte ou couleur que ce soit. » ;

* en 1839, Grégoire XVI (1831-1846), dans sa lettre In supremo apostolatus fastigio, demande fermement l’abolition de l’esclavage en écrivant notamment : « Nous avertissons tous les fidèles chrétiens, de toute condition, et Nous les conjurons instamment dans le Seigneur : que personne désormais n’ait l’audace de tourmenter injustement des Indiens, des Nègres et d’autres hommes de cette sorte, de les dépouiller de leurs biens ou de les réduire en esclavage, ou d’en aider ou d’en soutenir d’autres qui commettent de tels actes à leur égard, ou de pratiquer ce trafic inhumain par lequel des Nègres, qui ont été réduits en esclavage d’une manière ou d’une autre, comme s’ils n’étaient pas des hommes mais de purs et simples animaux, sont achetés et vendus sans aucune distinction en opposition aux commandements de la justice et de l’humanité, et condamnés parfois à endurer les travaux parfois les plus durs. » ;

* en 1850, Pie IX (1846-1878), lors de la béatification du prêtre jésuite Pierre Claver (1580-1654), dénonce la « suprême horreur » (summum nefas) de la traite des esclaves : il condamne avec force les trafiquants « qui, dans leur suprême scélératesse, avaient pour coutume d’échanger contre de l’or la vie des hommes. » ;

* en 1888, Léon XIII (1878-1903), dans l’encyclique In Plurimis, rappelle l’opposition du christianisme à toute forme d’esclavage.

Le commerce triangulaire

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Couverture du journal de bord du bateau négrier La Vénus (1723-1725) commandé par Bachelet
Archives nationales de France

C’est à partir du 16ème siècle que se met en place entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique le « commerce triangulaire ».

Des bateaux, partis d’Europe (Liverpool, Londres, Lisbonne, Nantes, Bordeaux, Séville, Amsterdam...), se dirigent vers des ports d’Afrique de l’Ouest. Là, ils achètent des esclaves noirs capturés et vendus par des marchands africains, en échange de pacotilles ou d’armes.

Les bateaux négriers traversent ensuite l’Océan Atlantique. Les prisonniers font la traversée dans des conditions épouvantables : ils sont entassés les uns sur les autres, sans hygiène et souvent victimes de maladies contagieuses. Ils arrivent en Amérique après une longue traversée d’environ 3 mois (Antilles, Brésil, Sud des États-Unis…). Ils sont alors vendus comme esclaves à des maîtres qui les font durement travailler.

La traite Atlantique dure du 16ème siècle au début du 19ème siècle : on estime à environ 11 millions le nombre d’Africains déportés par les bateaux européens. La traite musulmane (déportation d’Africains par des musulmans), appelée aussi « traite orientale » a concerné environ 17 millions d’Africains, du 7ème au 20ème siècle. Enfin, la traite interne à l’Afrique a fait environ 28 millions de victimes.

Au niveau de la traite Atlantique, c’est le Portugal qui de loin est responsable de la plus importante déportation d’Africains (surtout vers le Brésil) avec près de 5 millions de victimes. L’Angleterre arrive en deuxième position avec près de 3 millions. Viennent ensuite l’Espagne (1,6 million), la France (1,3 million), les Pays-Bas (500.000), les États-Unis (après leur indépendance) (300.000) et le Danemark (50.000). Les principaux pays destinataires sont, loin devant, le Brésil (4 millions), l’empire espagnol (2,5 millions), les Antilles britanniques (2 millions), les Antilles françaises y compris la Guyane (1,6 million), les Treize-Colonies/États-Unis (500.000), les Antilles hollandaises y compris le Surinam (500.000) ainsi que les Canaries, Madères et les Açores.

En Europe, les principaux ports de départ des bateaux négriers sont, loin devant les autres, Liverpool, Londres et Bristol (en Angleterre). En France, les principaux ports sont Nantes, La Rochelle et Bordeaux.

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Carte de Sandrine, collège d’Évreux (Eure)
Peuplée de paysans libres, la Nouvelle-France n’a jamais été une colonie esclavagiste. On connaît l’histoire notamment d’Olivier Le Jeune. Originaire de Guinée ou même de Madagascar et né vers 1620, il arrive en Nouvelle-France comme esclave du commandant britannique David Kirke (1597-1654) quand les Anglais occupent Québec en 1629. Kirke vend l’enfant âgé d’environ 7 ans à un commis français au service des Anglais, Olivier le Baillif. Lorsque la colonie est restituée à la France en 1632 par le traité de Saint-Germain-en-Laye, Olivier Le Baillif doit alors quitter Québec et il donne son jeune esclave à Guillaume Couillard (1591-1663), habitant de Québec arrivé en Nouvelle-France en 1613 et un des premiers pionniers de la ville.

Le petit garçon est alors éduqué dans une école fondée par le père jésuite français Paul Le Jeune (1591-1664). Le 14 mai 1633, il est baptisé catholique avec le prénom et nom d’Olivier Le Jeune, d’après le prénom du commis général de la colonie Olivier Letardif (1604-1665), gendre de Guillaume Couillard, et d’après le nom de famille dudit jésuite Paul Le Jeune. Toutefois, il faut préciser qu’on ne trouve pas trace de son acte de baptême dans le registre paroissial de Notre-Dame de Québec (il faut noter que ce registre est très lacunaire à cette date). On dispose par contre de l’acte de sépulture d’Olivier Le Jeune en date du 10 mai 1654 : il n’y est fait mention ni d’un quelconque statut d’esclave ou d’homme non libre, ni de couleur de peau, ni d’une quelconque autre différence avec les autres habitants, et sa profession est « domestique de Monsieur Couillard ». Comme le prévoyait la règle en France métropolitaine, Guillaume Couillard avait sans aucun doute affranchi Olivier Le Jeune.

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Acte de sépulture d’Olivier Le Jeune le 10 mai 1654 en l’église Notre-Dame de Québec
Registre paroissial de Notre-Dame de Québec (1621-1679), Bibliothèque et archives nationales du Québec

La vie des esclaves dans les plantations

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L’organisation d’une plantation aux Antilles françaises au 18ème siècle
Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1751, BNF

La vie des esclaves dans les plantations est très difficile et beaucoup meurent d’épuisement. Dans les colonies françaises concernées par l’esclavage (Antilles, Guyane, Louisiane, Réunion), la vie des esclaves est réglementée par le Code Noir, promulgué en 1685 à l’époque de Louis XIV. Ce code reconnaît la personne de l’esclave mais fait preuve aussi d’une dureté impitoyable, notamment en cas de désobéissance. Parfois, ils peuvent être affranchis et vivre alors comme des hommes libres.

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Le Code Noir est promulgué en 1685. Il a pour objectifs de régler la vie des esclaves noirs dans les territoires français. Il concerne les Antilles à partir de 1687, la Guyane en 1704, la Réunion en 1723 et la Louisiane en 1724. Par contre, il ne concerne ni la France, ni la Nouvelle-France (Canada français) où l’esclavage restera toujours interdit selon le principe « Le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche » (édicté par le roi Louis X en 1315).

Extraits du Code Noir

- Article 27 : Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement […] seront nourris et entretenus par leur maître.

- Article 28 : Déclarons que les esclaves ne pourront rien avoir qui ne soit à leur maître. […]

- Article 33 : L’esclave qui aura frappé son maître, ou la femme de son maître, ou sa maîtresse […], ou leurs enfants, avec contusion, ou effusion de sang, sera puni de mort. […]

- Article 38 : L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule. Et s’il récidive, il aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule. […]

- Article 42 : Les maîtres pourront, seulement lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges ou de cordes. Mais nous leur défendons de leur donner la torture ou de les mutiler, sous peine de leur confisquer leurs esclaves et d’agir contre eux.

La première abolition en 1793

En France, beaucoup de personnes font part de leur hostilité à l’esclavage. Le 19 février 1788 est créée à Paris la « Société des amis des Noirs » qui souhaite la suppression totale de l’esclavage. En 1789, le cahier de doléances de Champagney dans le Jura réclame l’abolition de l’esclavage, « indigne du nom de Français et de chrétien » : cet article est notamment rédigé sur influence de l’officier du roi Jacques-Antoine Priqueler (1753-1802).

Article 29 du cahier de doléances de Champagney (19 mars 1789)
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Article 29 du cahier de doléances de Champagney (1789)
Archives départementales de Haute-Saône

Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur en se représentant leurs semblables unis encore à eux par le double lien de la religion être traité plus durement que ne le sont des bêtes de sommes.
Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions desdites colonies si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sans de leurs semblables.
Ils craignent avec raison que les générations futures plus éclairées et plus philosophes n’accusent les Français d’avoir été anthropophages ce qui contraste avec le nom de Français et plus encore celui de chrétien.
C’est pourquoi, leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyen pour de ces esclaves faire des sujets utiles au Roy et à la patrie.
Archives départementales de Haute-Saône

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L’abolition de l’esclavage proclamée à la Convention le 16 pluviôse an II
Dessin à la plume rehaussé de gouache par Nicolas André Monsiau (1754-1837), Musée Carnavalet à Paris
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L’esclavage dans les colonies françaises est aboli une première fois le 4 février 1794 (décret du 16 pluviôse an II) pendant la Révolution française sur initiative de l’abbé Grégoire, prêtre catholique député à la Convention. Cette abolition fait suite à une importante révolte d’esclaves à Saint-Domingue (actuelle Haïti), menée notamment par Toussaint-Louverture, ancien esclave noir et affranchi. Quatre ans après avoir adopté la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789), l’Assemblée nationale fait de ces droits de l’homme une question universelle.

L’abolition n’est toutefois pas vraiment réalisée dans les faits en raison de la situation politique de la France (révolution française, guerre civile, guerre avec un grand nombre de pays européens), de la concurrence de l’Angleterre (certains colons souhaitaient l’annexion par l’Angleterre de leurs îles pour éviter l’abolition de l’esclavage ordonné par la France) et l’esclavage est officiellement rétabli par la loi du 20 mai 1802 signée par Napoléon Bonaparte « dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens du 6 germinal an X » (Martinique, Trinité-et-Tobago, Sainte-Lucie).

Victor Schœlcher (1804-1893) et l’abolition définitive

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Portrait de Victor Schoelcher
Tableau d’Henri de Caisne (1799-1852), Mairie de Fessenheim

Victor Schœlcher naît le 3 thermidor an XII (22 juillet 1804) dans la manufacture de son père au 60 rue du Faubourg Saint-Denis, dans l’actuel 10ème arrondissement à Paris. Quelques semaines après sa naissance, le 9 septembre 1804, il est baptisé en l’église catholique Saint-Laurent de Paris.

Acte de naissance de Victor Schœlcher
Extrait du registre d’état civil de l’an XII du 5ème arrondissement ancien de Paris (acte reconstitué suite aux destructions de la Commune de Paris de 1871)
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Archives de Paris

Préfecture du département de la Seine, Ville de Paris, 5ème mairie
Du cinq thermidor an 12 de la République, à onze heures.
Acte de naissance de Victor, du sexe masculin, né le trois courant à une heure du soir chez ses père et mère, rue du faubourg Saint-Denis, n°60, Division du Nord, fils de Marc Schœlcher, manufacturier de porcelaine, et de Victorine Jacob, qu’il a déclaré être son épouse.
Les témoins sont Antoine Patrice Moore, docteur en médecine, demeurant rue Thevenot, n°3, âgé de trente-neuf ans. Et Louis-Denis Richer, employé, demeurant rue de Bondy, n°17, âgé de cinquante-trois ans.
D’après la déclaration faite par le père, et ont signé après lecture faite.
Signé au Registre : Schœlcher, Moore, Richer.
Constaté par moi maire soussigné faisant fonctions d’officier public.
Signé : Worms.
[Olry Hayem Worms (1749-1849), qui signe l’acte d’état civil, était alors adjoint au maire du 5ème arrondissement ancien de Paris. Prenant par la suite le patronyme « Worms de Romilly », il est l’ancêtre de Michel Worms de Romilly (1909-1975), époux de Jacqueline David (1913-2010), plus connue sous le nom de Jacqueline de Romilly, célèbre écrivain helléniste et historienne spécialiste du monde grec ancien.]

Ses parents, Marc Schœlcher et Victoire Jacob, mariés le 12 messidor an IV (30 juin 1796) au quatrième arrondissement municipal de Paris, tiennent une manufacture de fabrication de porcelaine. Marc Schœlcher (1766-1832) est d’origine alsacienne : il est né dans le village de Fessenheim (Bas-Rhin). Victoire Jacob (1767-1839) est, elle, originaire de Meaux (Seine-et-Marne). Victor Schœlcher a deux frères : un frère aîné, Marc-Antoine Schœlcher, né le 14 germinal an V (3 avril 1797) « rue des Petits-Champs n° 1277 Division Butte des Moulins » à Paris et décédé le 11 janvier 1864, et un frère cadet, Jules Gilbert Schœlcher, né le 4 avril 1806 à Paris dans l’ancien 5ème arrondissement et décédé le 24 mars 1833 à Saint-Denis de la Réunion.

Après des études au lycée Condorcet à Paris, Victor Schœlcher voyage ensuite en Amérique, notamment à Cuba où il y est révolté par l’esclavage. Après la révolution de février 1848, Schœlcher est nommé sous-secrétaire d’État à la marine et aux colonies et travaille en coopération avec François Arago. L’abolition dans les colonies françaises concerne environ 250.000 esclaves.

Extrait du décret du 27 avril 1848 qui décide de l’abolition de l’esclavage en France et dans ses colonies rédigé par Victor Schœlcher

Le Gouvernement provisoire,
Considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité. [...]
Décrète :

Article 1er : L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits. [...]

Article 4 : Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative. [...]

Article 7 : Le principe que le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République.

Article 8 : À l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyen français. [...]

Fait à Paris, en Conseil du Gouvernement, le 27 avril 1848

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Allégorie de l’abolition de l’esclavage à la Réunion en 1848
Tableau d’Alphonse Garreau (1792-1865), Musée du Quai Branly à Paris

Schœlcher fait partie des députés défendant la République après le coup d’État du 2 décembre 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte, qui devient alors Napoléon III. Il s’exile alors en Angleterre et ne revient en France qu’à la fin de l’année 1870, au début de la IIIe République. Il est élu sénateur inamovible en 1875, et fait passer une proposition de loi en 1877 interdisant la bastonnade dans les bagnes, notamment celui de Guyane.

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Le monument avec la statue de Victor Schœlcher, place Victor-Schœlcher à Cayenne (Guyane)
Photo Nicolas Prévost

Victor Schœlcher meurt le 25 décembre 1893 au 26 rue d’Argenteuil, devenue aujourd’hui Avenue Victor-Schœlcher, à Houilles (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans les Yvelines).

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Acte de décès de Victor Schœlcher le 25 décembre 1893 à Houilles (Yvelines)
Archives départementales des Yvelines

Après avoir été inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris avec son père Marc Schœlcher (1766-1832), ses cendres sont transférées, de même que celles de son père, au Panthéon à Paris le 20 mai 1949, le même jour que celles de Félix Éboué (1884-1944), homme politique français, gouverneur et résistant, né à Cayenne. Son nom est également donné à une commune de la Martinique : Case-Navire devient Schœlcher en 1889.

En même temps que l’abolition dans les colonies françaises, d’autres pays abolissent également l’esclavage : l’Angleterre en 1839, le Portugal en 1869, les Pays-Bas en 1863, les États-Unis en 1865.

L’esclavage perdure alors dans de nombreux pays : par exemple, l’Arabie Saoudite ne l’abolit qu’en 1968 et la Mauritanie en 1980. Aujourd’hui, même s’il a officiellement disparu, il subsiste toutefois sous une autre forme, appelée parfois "esclavage moderne" (par exemple le travail des enfants).

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