« Le fait que la langue française perdra ou gagnera la bataille du Canada pèsera lourd dans la lutte qui est menée pour elle, d’un bout à l’autre du monde », disait Charles de Gaulle, lors d’une conférence de presse le 27 novembre 1967 au palais de l’Élysée à Paris.
Le Général de Gaulle s’est depuis toujours fait une « certaine idée de la France », comme il l’écrivait dans ses Mémoires de guerre. Sensible au destin et au rayonnement de son pays, il ne pouvait rester insensible à celui de sa langue. Toute sa vie, Charles de Gaulle a remarquablement manié le verbe. Tous ses discours sont remarquablement écrits, et ses conférences de presse attendues avec grande impatience : moments d’érudition exceptionnelle, couplées avec une rhétorique magistrale et un humour toujours très présent pour capter son auditoire. Le général avait aussi le sens de la formule : « La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre », « Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré », « Je vous ai compris », « Un quarteron de généraux à la retraite », « Sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : “L’Europe, l’Europe, l’Europe” » ou « Vive le Québec libre ». Tous les Français qui ont vécu la période du gaullisme, qu’ils soient favorables à de Gaulle ou opposants, ont la plupart du temps parfaitement retenu toutes ces formules.
Charles de Gaulle est très intéressé par le rayonnement du français. Il se distingue notamment par un soutien très remarqué aux francophones du Canada, que ce soit au Québec ou bien en Acadie. Le soutien au français au Québec est amorcé dès 1960, la relation franco-québécoise devient intense et la politique linguistique en faveur du français une des priorités. En octobre 1963, André Malraux rend compte de la visite qu’il vient de faire à Montréal : « L’état d’esprit des Canadiens-français est celui d’une minorité qui veut cesser de l’être. Leur colère est si grande qu’ils ont maintenant la volonté d’être autre chose que des hommes en colère. Les autonomistes purs et durs ne sont pas anti-américains, la population non plus. Ce dont ils rêvent, c’est que, chez eux, leurs gratte-ciel américains appartiennent à un État canadien-français. Il leur faudrait davantage de cadres techniques d’inspiration française. Il faudrait faire venir le plus grand nombre possible d’étudiants en France, pour que dans sept ou huit ans, ils prennent la direction du pays. La France ne doit pas être seulement le passé du Canada français, mais une part de son avenir. » Le Québec essaie de sensibiliser la France sur l’avenir et les risques pour la langue française. Alors que le 24 novembre 1965 est signée une entente de coopération culturelle comportant vingt articles, les gouvernements français et québécois coopèrent à la diffusion du français, à l’amélioration de la terminologie scientifique et technique et à la qualité de la langue. Les relations et la coopération franco-québécoise deviennent encore plus intenses après le discours de Charles de Gaulle à Montréal en 1967 et son « Vive le Québec libre ». En septembre 1967, le président français envoie au Québec le ministre de l’Éducation nationale Alain Peyrefitte afin d’accroître les échanges culturels franco-québécois en matière d’éducation, de culture et de jeunesse. Le dernier article de l’entente signée par Peyrefitte prévoit que « les deux gouvernements favoriseront les initiatives ayant pour objet de promouvoir l’universalité et l’unité de la langue française ».
Passionné de langue française, la maîtrisant à merveille, Charles de Gaulle n’est toutefois pas le promoteur de la francophonie et n’a même jamais vraiment montré publiquement son enthousiasme pour cette organisation internationale. « Il faudra que cela vienne d’eux », dit-il en parlant des pays du monde ayant le français en partage. C’est ainsi que la francophonie est surtout l’œuvre de personnalités non françaises, comme Hamani Diori du Niger, Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Habib Bourguiba de Tunisie et Jean-Marc Léger du Québec. Mais tous les préparatifs sont regardés avec bienveillance par le Général de Gaulle, très sensible aussi sur les menaces qui pesaient sur le français, que ce soit le statut international du français ou la qualité même de la langue française. L’action du Général a pour conséquence un développement important de la Francophonie. Si les organisations francophones non gouvernementales connaissent à partir des années 1960 une expansion considérable et si la première organisation internationale francophone peut voir le jour, c’est en grande partie la conséquence de la politique du général de Gaulle. Le rayonnement de la France ne peut en effet qu’accentuer l’intérêt pour la langue française.
Enfin, rappelons que Charles de Gaulle était aussi fameux pour toujours dire quelques mots dans la langue du pays d’accueil si celle-ci n’était pas le français : en allemand à Bonn le 4 septembre 1962, le célèbre « Es lebe die deutsch-französische Freundschaft », ou en espagnol à Mexico le 16 mars 1964 avec le non moins célèbre « La mano en la mano ». Finalement, on peut dire que le Général de Gaulle était en premier lieu respectueux des identités et des cultures, à commencer par la sienne, la culture française, dont il était éperdument passionné, mais soucieux aussi de celles des autres.
Lettre du Général de Gaulle de 1962 pour la promotion de la langue française Archives du Service Historique de la Défense (SHD) |