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L’Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539

samedi 6 avril 2019, par Nicolas Prévost

La célèbre « Ordonnance de Villers-Cotterêts », promulguée par le roi de France François Ier le 25 août 1539 dans cette petite ville aux confins de la Picardie, de l’Île-de-France et de la Champagne, est le plus ancien texte qui a encore une valeur juridique dans l’actuel système judiciaire français : en effet, les articles 110 et 111 concernant la langue française sont toujours appliqués par la Cour de cassation. L’Ordonnance est enregistrée par le Parlement de Paris le 6 septembre 1539 après avoir été rédigée par le chancelier de France Guillaume Poyet (1473-1548) et signée par le roi. Elle porte sur différents aspects législatifs, notamment l’état civil, la justice et la langue de l’administration.

L’état civil et les notaires

L’Ordonnance de Villers-Cotterêts organise l’état civil, c’est-à-dire l’enregistrement officiel des naissances (baptêmes), des mariages et des décès (sépultures). Cet aspect fondamental de l’administration est confié aux curés de l’Église catholique, qui assurent depuis déjà quelques temps ce travail. En effet, le plus ancien registre paroissial connu est celui de Givry (Bourgogne), il ne s’y trouve aucune indication de baptêmes mais la partie concernant les décès (sépultures) date de 1334 et celle contenant les mariages de 1336. On compte de nos jours 239 séries conservées de registres paroissiaux antérieurs à 1539 pour toute la France. Par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier confie donc aux curés des paroisses un pouvoir civil d’administrateur pour enregistrer les baptêmes et les sépultures (les mariages seront enregistrés ultérieurement). Savoir individualiser les personnes et leur état dans la société avec leur filiation est tout l’objet de l’état civil. Notamment pour connaître les héritiers d’un défunt, pour enregistrer des contrats et bien sûr pour lutter contre un éventuel mariage à plusieurs reprises.

Sur le sujet des notaires, François Ier ordonne, outre que les actes soient rédigés en français, qu’ils soient conservés aux archives et répertoriés en étant signé par deux notaires. L’officier public chargé de conserver les « minutes » et de délivrer les « grosses » est le tabellion (ce mot vient du latin juridique « tabellio », celui qui écrit sur des tablettes). L’article 177 prévoit que les notaires ne doivent communiquer les actes qu’à certains (contractants, ayants droit, protagonistes), sauf décision de justice, et pose ainsi le principe du secret professionnel.

Les réformes judiciaires

L’Ordonnance de Villers-Cotterêts aborde de nombreux points fondamentaux concernant la justice. Ainsi, dans son article 168, elle explicite clairement la notion de légitime défense, en citant ceux « qui auraient été contraints de faire des homicides pour le salut et la défense de leurs personnes » et qui seront donc exemptés de peine.

Au niveau de la torture, dont l’usage remonte au droit romain, l’Ordonnance n’apporte pas réellement de modification et autorise la délégation judiciaire pour procéder à l’information par des auxiliaires de justice dans le cadre d’une procédure ordonnant de « trouver la vérité des crimes, délits et excès par la bouche des accusés si faire se peut » (article 146), sans l’assistance d’un conseil et sans connaître les charges apportées contre lui par la procédure (article 162). L’accusé est alors très mal protégé, il est seul et non assisté d’un avocat. La torture sera finalement définitivement abolie par le roi Louis XVI par une déclaration royale donnée à Versailles le 24 août 1780.

La langue française, langue officielle du royaume

L’Ordonnance de Villers-Cotterêts est surtout célèbre pour son action en faveur de l’établissement du français comme langue administrative. Au niveau juridique, on peut dire que le plus ancien texte en français est le serment de Strasbourg de 842 entre Louis le Germanique et Charles le Chauve contre leur frère Lothaire. Dès le XIIIe siècle, les notaires royaux écrivent en français, langue qui s’impose progressivement entre le XIVe siècle et le XVIe siècle comme langue administrative dans les chartes royales au détriment du latin ou de langues régionales. L’ordonnance de Villers-Cotterêts confirme donc en fait un mouvement de centralisation linguistique déjà engagé depuis longtemps : comme toujours à cette époque, la loi finit par officialiser une coutume.

Il faut souligner à ce propos que, jusqu’à ce que l’école soit obligatoire en France à la fin du XIXe siècle, le français n’est pas parlé par tous les Français. Il est bien sûr la langue de la Cour (on dit que le français « standard » est celui de Touraine), des élites (noblesse, clergé, grande bourgeoisie), des commerçants et des écrivains, mais également des élites européennes (en Prusse, en Russie, en Autriche, etc.). La population française, elle, parle essentiellement des variantes de ce français « standard » proche de la langue d’oïl, de l’occitan ou encore du franco-provençal. On parlera plus tard de patois, même si ce mot a parfois pris une tournure péjorative.

Il faut souligner que l’Ordonnance de Villers-Cotterêts ne s’applique pas à l’Alsace après son annexion par le royaume de France car les traités de Westphalie de 1648 (plus précisément le traité de Münster du 24 octobre 1648) protègent les spécificités juridiques de cette province autrefois impériale. Les actes paroissiaux catholiques continueront par exemple à être rédigés en latin et les actes protestants en allemand sauf exception. La monarchie française respecte sans aucune difficulté les particularismes locaux.

Les dispositions concernant le français dans l’Ordonnance de Villers-Cotterêts sont encore aujourd’hui appliquées dans le droit français. En effet, ce texte demeure pendant longtemps la seule référence à une langue « officielle » en France. Il faut attendre 1992 pour que la Constitution (celle de 1958) indique dans son article 2 que « la langue de la république est le français » (on peut d’ailleurs s’étonner de cette formulation très imprécise de « langue de la république »), complétée par la « loi Toubon » du 4 août 1994 « relative à l’emploi de la langue française » (et qui est aujourd’hui inégalement appliquée). Toutes ces dispositions linguistiques sont régulièrement rappelées par les cours de justice françaises. Ainsi, le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel juge contraire à la Constitution de la Ve République une clause de la Charte européenne des langues régionales reconnaissant le droit d’utiliser dans les relations avec l’administration et la justice une autre langue que le français. De la même façon, concernant l’enseignement, le Conseil constitutionnel juge le 27 décembre 2001 que « l’usage d’une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public ». On peut aussi citer un arrêt de la Cour de cassation, en date du 13 décembre 2011, qui indique qu’en matière de preuves commerciales, « l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 fonde la primauté et l’exclusivité de la langue française devant les juridictions nationales. »

De nos jours, les ordonnances et les lois au sujet de la langue française sont de moins en moins respectées, fautes d’être appliquées avec rigueur. Néanmoins, l’Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 du roi François Ier reste incontestablement un texte de référence.

Nicolas PRÉVOST

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