La traite des fourrures existe depuis l’époque la plus lointaine de notre histoire. La fourrure de castor, une des meilleures pour la fabrication du feutre, est très vite devenue très précieuse. Les feutres issus de la fourrure du castor sont très doux et lisses, imperméables et ils résistent bien à l’usure. L’attrait pour cette fourrure à l’époque des « Grandes Découvertes » est une des causes principales de « l’Appel du Nord » en Nouvelle-France.
Comment les fourrures attirent-elles de nouveaux découvreurs vers le Nord, et notamment la « Baie du Nord », qu’on appelle aussi « Baie d’Hudson » ? Faisons d’abord un point sur l’attrait des fourrures, puis sur l’action des explorateurs français Pierre-Esprit Radisson (1636-1710) et Médard Chouart des Groseilliers (1618-1696) avant d’évoquer la bataille franco-anglaise de la Baie d’Hudson racontée par Bacqueville de la Potherie (1663-1736).
Carte de la Baie d’Hudson (1744) par le géographe français Jacques-Nicolas Bellin (1703-1772). Bibliothèque nationale de France |
Les fourrures en Nouvelle-France
Au début du XVIIe siècle, au moment de la naissance de la Nouvelle-France, le besoin de fourrures de castor augmente considérablement. Le castor est en voie d’extinction en Europe à cause de la chasse excessive, alors que la nouvelle mode des chapeaux nécessite pourtant beaucoup de peaux de castor. C’est pourquoi la découverte du castor nord-américain est un moment très important.
En 1534, sous le règne de François Ier, Jacques Cartier quitte la France à la recherche du « passage du Nord-Ouest ». Il aborde les côtes du Labrador, terre pour lui rude et peu attirante, et il continue son voyage et s’arrête à la péninsule gaspésienne dans le golfe du Saint-Laurent. C’est là qu’il prend possession de ces terres pour la France et qu’il rencontre pour la première fois des Amérindiens. Ils échangent des couteaux contre des fourrures.
Entre-temps, d’autres explorateurs continuent à rechercher le passage du Nord-Ouest. C’est le cas d’Henry Hudson, qui découvre la baie nommée en son honneur. Cet homme et d’autres commencent à cartographier la terre et les cours d’eau, notamment pour la traite des fourrures ainsi que pour l’exploration et la colonisation de l’Amérique du Nord.
Samuel de Champlain est un des premiers à prendre conscience de l’attrait commercial du Canada. Il fait son premier voyage en Amérique du Nord en 1603 en Acadie. Il y revient plusieurs années plus tard pour y établir une colonie permanente. Il souhaite convaincre de nombreux habitants de s’installer au Canada, ce que le roi de la France lui accorde en échange du développement de la traite des fourrures.
La compétition entre l’Angleterre et la France devient féroce car il ne faut pas longtemps aux Anglais pour se rendre compte du bénéfice qu’ils pourraient tirer de la traite des fourrures. La France et l’Angleterre envoient alors des bateaux remplis de peaux de castors en Europe. Cette compétition dans la traite des fourrures contribue à déclencher des batailles entre les tribus amérindiennes.
Radisson et Des Groseilliers, le premier appel du Nord en Nouvelle-France
Deux coureurs des bois français nous font revivre la traite des fourrures : Médard Chouart des Groseilliers et Pierre Esprit Radisson.
Pierre-Esprit Radisson, fils de Pierre-Esprit Radisson et de Madeleine Henault, est probablement né à Paris, sans doute baptisé dans l’église Saint-Sulpice en 1636, la destruction des registres paroissiaux et de tout l’état-civil parisien en 1871 par les Communards nous empêchant de le vérifier. La demi-sœur de Pierre-Esprit Radisson, Marguerite Hayet, fille de Madeleine Henault et de Sébastien Hayée, se marie le 24 août 1653 à Québec avec Médard Chouart des Groseilliers (ou Desgroseilliers). Médard Chouart des Groseilliers, fils de Médard Chouart et de Marie Poirier, est né à Charly-sur-Marne (Aisne) où il est baptisé le 31 juillet 1618. Il est donc le beau-frère de Pierre-Esprit Radisson.
Acte de baptême de Médard Chouart des Groseilliers le 31 juillet 1618 en l’église Saint-Martin de Charly-sur-Marne, paroisse située alors dans le diocèse de Soissons et dans la province de Champagne. Archives départementales de l’Aisne |
Acte du mariage de Médard Chouart des Groseilliers avec Marguerite Hayet (demi-sœur de Pierre-Esprit Radisson) le 24 août 1653 en l’église Notre-Dame de Québec. Archives diocésaines de Québec |
Après son arrivée en Nouvelle-France, Radisson s’installe à Trois-Rivières mais il est capturé par des Amérindiens. Il est adopté par une famille indienne dont il apprend la langue. Essayant de s’échapper, il est repris et torturé, mais il est sauvé par sa famille adoptive. Il quitte définitivement ce village en 1654 pour servir d’interprète aux Hollandais, puis il revient à Trois-Rivières.
Radisson et Desgroseilliers à la Baie d’Hudson. Extrait de Fastes trifluviens : tableaux d’histoire trifluvienne sous le régime français, 1931 |
Après avoir servi de lien entre les Français et les Hurons, grâce à sa grande connaissance de la psychologie et des langues amérindiennes, Radisson débute un long voyage de 1659 à 1660 avec son beau frère Des Groseilliers jusqu’au Lac Supérieur et vers des régions de l’Ouest jusque là inexplorées. Ce voyage dure de 1659 à 1660 et Radisson nous en laisse un récit où il décrit précisément les coutumes amérindiennes. Pendant ce voyage, les Français prennent contact avec les Sioux, qui leur parlent d’un très grand nombre de castors près de la Baie d’Hudson. C’est cela qui servira d’argument à Radisson pour convaincre les Anglais de la création de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
À cette même période, les deux explorateurs maîtrisent de mieux en mieux la géographie de ce territoire, et s’investissent particulièrement dans le commerce des peaux de castor. En 1660 à Trois-Rivières, la religieuse française Marie de l’Incarnation évoque l’arrivée d’une centaine de canots « avec une manne céleste de peaux de castor », et elle ajoute que cela allait sauver la Nouvelle-France de la ruine. Toutefois, Radisson et Des Groseilliers sont déçus car ils sont confrontés à l’hostilité des autorités de la Nouvelle-France, notamment du gouverneur Pierre de Voyer d’Argenson qui confisque leur marchandise et les menace d’amende, sous prétexte qu’ils n’avaient pas l’autorisation d’entreprendre un tel voyage, sans le permis de traite. Des Groseilliers cherche à obtenir justice en France mais il échoue et revient alors en Nouvelle-France. Des Groseilliers et Radisson s’engagent alors pour Boston en Nouvelle-Angleterre.
Les Anglais ont entendu parler des deux explorateurs. En 1665, ils les invitent à rencontrer le roi Charles II en Angleterre qui soutient leur recherche de fourrures. Après trois années de préparation, ils sont prêts à partir à nouveau. En 1668, depuis l’Angleterre, le bateau de Des Groseilliers, le Nonsuch, appareille en même temps que celui de Radisson, l’Eaglet. Mais en raison des tempêtes, Radisson revient en Angleterre, où il rédige ses Voyages.
Pendant ce temps-là, le Nonsuch de Des Groseilliers continue sa route et réussit à trouver un passage vers la Baie d’Hudson. Il accoste en 1668 sur les côtes de la Baie James, à l’embouchure de la Rivière Rupert. L’objectif est de contourner le Fleuve Saint-Laurent, colonne vertébrale de la Nouvelle-France. L’équipage construit un fort, Rupert House, pour entreposer les fourrures mais aussi se protéger de l’hiver et de leurs ennemis. Au printemps de 1669, ils retournent en Angleterre avec les belles fourrures qu’ils ont obtenues. Ceci donne alors vie au projet de fonder la « Compagnie de la Baie d’Hudson ».
Le roi d’Angleterre donne au Prince Rupert et à ses partenaires (connus sous le nom de « la Compagnie des aventuriers d’Angleterre trafiquant dans la baie d’Hudson ») une charte qui accorde un monopole à leur compagnie. La Compagnie de la Baie d’Hudson voit le jour le 2 mai 1670. On lui attribue toutes les terres dont les rivières se jettent dans la Baie d’Hudson, ce qui devient la Terre de Rupert (en théorie près de 4 millions de km²). La devise de la CBH est « pro pelle cutem » (« peau pour peau »), rappelant le risque pris pour ramener les peaux de castor.
Carte de la zone théorique accordée par la « charte » autour de la Baie d’Hudson. Gouvernement du Canada |
Le 31 mai 1670, suite à la création de la Compagnie, Radisson et Des Groseilliers reviennent vers la Baie. Radisson se trouve dans le bateau Wivenhoe qui se dirige vers l’embouchure de la rivière Nelson. Des Groseilliers se trouve à bord du bateau Prince Rupert et se dirige à l’embouchure de la rivière Rupert. Il est rejoint par Radisson, qui avait été retardé par la mort du capitaine de son bateau. Toutefois, ce retard permet à Radisson de repérer l’endroit où fonder le Fort Nelson.
Dans les années qui suivent, Radisson et Des Groseilliers font de nombreux voyages entre l’Angleterre et la Baie d’Hudson. Pendant ce temps-là, en Nouvelle-France, on s’inquiète de l’activité de ces deux « traîtres » et de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Jean Talon, l’intendant, souhaite une politique d’expansion, et il envoie dans l’Ouest des expéditions, notamment celle de Robert Cavelier de la Salle. Un autre groupe est dirigé par le Père Albanel, un jésuite qui parle parfaitement bien un certain nombre de langues amérindiennes.
Itinéraire du Père Charles Albanel Musée virtuel de la Nouvelle-France. |
Albanel part de Québec le 6 août 1671 et, deux jours plus tard, il retrouve à Tadoussac Paul Denys Saint-Simon et Sébastien Provencher, ses compagnons jésuites. Le 7 septembre, les Français arrivent au bord du lac Saint-Jean. Apprenant que les Anglais étaient dans la région, Albanel envoie par précaution des messagers à Québec pour en obtenir des passeports officiels. Comme ces messagers tardent à revenir, le groupe d’explorateurs passe l’hiver parmi les Indiens Mistassinis. Cela lui donne l’occasion de les évangéliser et de baptiser de nombreux enfants et adultes. Le 1er juin, les trois jésuites français accompagnés de seize Indiens reprennent leur voyage dans trois petites embarcations. Ils arrivent le 18 juin au lac Mistassini. Ils descendent ensuite la rivière Rupert vers le lac Nemiscau et le 28 juin vers la Baie James. Ne rencontrant aucun Européen, pas même Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers, passés à la solde des Anglais, ils reviennent vers Québec. Ils font ainsi un voyage de plus de trois mille kilomètres. Albanel estime être le premier européen à être parvenu à la Baie James par voie terrestre. En 1673, le gouverneur français, le Comte de Frontenac, l’envoie en mission auprès du gouverneur anglais Charles Bayly. Il quitte Québec le 8 octobre, et prend la route de la mer du Nord le 13 janvier 1674, jusqu’à la rivière Rupert le 30 août 1675. Mais Bayly le détient et l’envoie en Angleterre. Albanel persuade alors Radisson et Des Groseilliers de revenir à la France.
Afin de concurrencer sérieusement la Compagnie de la Baie d’Hudson, Colbert crée une compagnie de fourrure appelée « Compagnie de la Baie du Nord ». À sa tête, on trouve Charles Aubert de la Chesnaye, un marchand canadien. Ayant finalement accepté de revenir vers leur patrie française, Radisson et Des Groseilliers partent en 1682 pour créer un établissement français à l’embouchure de la rivière Nelson : Fort Bourbon. Ils ramènent une impressionnante cargaison de fourrures et des prisonniers anglais. Mais à leur retour à Québec, ils se voient refuser le paiement de leur contribution au motif que la France n’est pas en guerre contre l’Angleterre... À cause de cela, la compagnie fait faillite. Radisson est conduit à Paris où il est accusé de ne pas avoir payé l’impôt de 25 % sur sa cargaison. Des Groseilliers quitte la compagnie et meurt quelques années après en Nouvelle-France. Radisson, quant à lui, repart en Angleterre, d’autant plus que sa femme est la fille d’un des directeurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Arrivé en Angleterre en mai 1684 avec l’aide d’un protestant français passé au service de l’Angleterre, Radisson réintègre la Compagnie de la Baie d’Hudson et quinze jours plus tard navigue de nouveau vers la baie d’Hudson à bord du bateau Happy Return, qui jette l’ancre près de Port-Nelson puis à la rivière Hayes, où il persuade son neveu, Jean Baptiste des Groseilliers, de se mettre du côté de l’Angleterre. La mission de Radisson à la Baie d’Hudson est de « dominer les Français sans employer la force » et d’assurer « la possession tranquille de l’endroit ». Échappant de justesse à des bateaux français, Radisson et son neveu Des Groseilliers reviennent ensuite en Angleterre où ils assistent au couronnement du roi Jacques II Stuart. Dans le même temps, les autorités françaises souhaitent que Radisson reviennent à leur service comme le montrent des lettres de Colbert de Seignelay, secrétaire d’État à la marine. Radisson séjourne une dernière fois à la Baie d’Hudson de 1685 à 1687. En 1687, il retourne en Angleterre et meurt à Londres en 1710. Dans l’historiographie de la Nouvelle-France, il n’a bien sûr pas bonne réputation et est généralement considéré comme un traître.
La bataille de la Baie d’Hudson et les écrits de Bacqueville de la Potherie
Naufrage du bateau Le Pélican dans la baie d’Hudson en 1697.
Dessin publié dans Histoire de l’Amérique septentrionale (1722) de Bacqueville de La Potherie. Bibliothèque nationale de France |
Grâce à Radisson, les Français avaient pris possession du site de Fort Nelson, qu’ils avaient rebaptisé Fort Bourbon. En 1692, le Comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, ordonne à Pierre Le Moyne d’Iberville de patrouiller dans la Baie d’Hudson et de prendre possession d’éventuels forts anglais. La campagne militaire contre les Anglais s’intensifient les années suivantes, notamment sous l’impulsion du grand gouverneur Frontenac.
En France, Claude Charles Bacqueville de la Potherie est né à Paris le 15 mai 1663 et baptisé en l’église Saint-Gervais. À partir de 1691, il devient écrivain principal de la Marine à Brest. En 1697, il est nommé Commissaire de la Marine à bord de l’escadre qui, sous la conduite de Pierre Le Moyne d’Iberville, doit déloger les Anglais de la Baie d’Hudson. Il raconte cet épisode dans son œuvre magistral intitulé Histoire de l’Amérique septentrionale. Cet œuvre en quatre volumes est écrit alors que Bacqueville de la Potherie est installé en Guadeloupe après son séjour en Nouvelle-France. Excellent observateur, il donne un tableau très complet du Canada français, avec des descriptions précises des institutions et de la société. Il note en particulier la rivalité entre Québec et Montréal, et il regrette notamment qu’on n’ait pas fait de Montréal la capitale du pays. Il raconte la bataille de la Baie d’Hudson où il parle de « relation du combat du vaisseau du Roi parmi les glaces contre les Anglais ».
En 1697, l’Angleterre et la France sont encore en guerre en Europe. Les deux pays essayent d’obtenir le contrôle du commerce de la fourrure en Amérique du Nord. Chaque camp essaye de capturer les postes de traite de l’autre compagnie. Les Français tiennent absolument à conserver Fort-Bourbon. Pierre Le Moyne d’Iberville devient le commandant du Pélican, un incroyable navire de guerre muni de 44 canons, construit à Bayonne et lancé en 1693. Son navire fait partie d’une flotte partie de France et se dirigeant vers la baie d’Hudson. La flotte se fait coincer dans la glace. Le Pélican réussit à se dégager de la glace et poursuit donc son parcours.
Lorsque le Pélican arrive près de Fort Bourbon, un groupe de soldats débarque pour évaluer la difficulté de la prise du fort. Entre-temps, d’Iberville reste à bord du Pélican et voit les mâts d’autres navires. Pensant qu’il s’agit de la flotte française, il part à leur rencontre. Ce n’est que lorsque son navire se rapproche des autres navires qu’il se rend compte qu’il ne s’agit pas de navires français mais de navires ennemis. Le Pélican est entouré d’une frégate britannique, le Hampshire (56 canons), et de deux vraquiers, le Dering (36 canons) et le Hudson’s Bay (32 canons). D’Iberville avait envoyé certains de ses meilleurs membres d’équipage à terre pour faire la reconnaissance du fort. D’autres membres de l’équipage sont sous le pont, souffrant du scorbut. Le Pélican a des ennuis. La marine britannique peinturait le pont de ses navires en rouge afin que les hommes distinguent mal le sang des blessés. On craignait qu’ils perdent leur courage s’ils voyaient couler le sang.
Bacqueville de la Potherie indique que « les armes du roi s’immortalisent avec autant de gloire et d’éclat dans les mers glaciales que dans les autres endroits les plus écartés de la terre ». Les Britanniques tirent le premier coup de feu. Le capitaine du Hampshire commande à ses hommes de tirer et touchent le Pélican. La bataille se poursuit pendant près de quatre heures. Les Britanniques semblent gagner car les soldats français sur le Pélican sont sérieusement blessés. On peut voir leur sang couler du navire dans l’eau glaciale de l’océan Arctique. Les Britanniques somment les Français de se rendre, mais les Français refusent.
Soudain, le Hampshire explose, probablement parce que la poudre de canon a pris feu. Le navire coule avec tout son équipage. Un autre navire, le Hudson Bay, fait un essai désespéré afin de tirer encore mais rapidement, ce navire accroche un drapeau blanc à son mât pour capituler. L’autre navire, le Dering, quitte rapidement les lieux. Les Français sont donc victorieux le 5 septembre 1697 et Bacqueville de la Potherie dit que cette bataille « a été la plus rude de cette guerre ». D’Iberville fait construire des radeaux et débarque équipage, prisonniers et marchandises sur la côte, tandis que ses autres bateaux arrivent enfin sur les lieux. Le lendemain, une tempête achève de détruire les deux navires endommagés qui sombrent l’un et l’autre. La bataille de la Baie d’Hudson est la plus grande bataille navale de l’histoire de la Nouvelle-France. Une superbe réplique du bateau Le Pélican a été construite en 1992 à La Malbaie au Québec, et ce bateau s’est ensuite retrouvé en Louisiane où il a malheureusement été coulé...
Bacqueville de la Potherie rentre en France, mais revient par la suite en Nouvelle-France. Le 1er mai 1698, il est nommé « contrôleur de la marine et des fortifications au Canada » et il arrive à Québec juste à temps pour assister aux funérailles de Frontenac. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un extrait de Bacqueville de la Potherie, qui établit un véritable panégyrique de Frontenac : « On compte onze gouverneurs généraux, depuis l’établissement de la colonie, parmi lesquels M. le Comte de Frontenac a gouverné l’espace de vingt ans. Il était l’amour et les délices de la Nouvelle-France, la terreur des Iroquois et le Père des Nations Sauvages alliées des Français. Il déclara la guerre à la Nouvelle-Angleterre de la part du roi en 1689. Il soutint le siège de Québec en 1690 contre toutes les forces des Anglais. […] Mais dans le temps où il allait conclure la paix [avec les Amérindiens], il mourut. La nouvelle de sa mort se répandit aussitôt chez eux. Il fut sensiblement regretté. Tout ce que je peux vous en dire est que la Nouvelle-France a fait en lui une très grande perte. On reconnut quelques jours avant sa mort où l’on estime les choses quand elles sont prêtes de finir et où l’on commence à les mieux voir lors qu’on les va perdre, combien le Canada avait d’amour et de tendresse pour lui. Ce n’était que larmes. On n’entendait de toutes parts que des louanges que l’on donnait à sa vertu et à ses belles actions : de forte qu’il pouvait déjà jouir de sa réputation et de sa gloire, et goûter comme par avance les favorables jugements qu’on devait faire de lui après sa mort. L’État ecclésiastique l’honorait pour sa piété et la noblesse l’estimait pour sa valeur. Le marchand le respectait pour son équité et le peuple l’aimait pour sa bonté. » Bacqueville de la Potherie oublie ensuite un peu le nord, il raconte toutefois la Grande Paix de Montréal de 1701 puis il termine sa vie en Guadeloupe.
Pour conclure, on pourrait bien sûr dire que les rivalités franco-anglaises ont été essentielles dans cet « appel du nord » de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Mais c’est surtout l’attrait des fourrures qui a été primordial. Les récits de voyage de Radisson et Des Groseillers semblent étonnants. Il ne faut pas hésiter à lire les récits originaux, notamment celui de Bacqueville de la Potherie, facilement accessible. La victoire de la Baie d’Hudson est de courte durée car la France cède ce territoire en même temps que l’Acadie en 1713 lors du Traité d’Utrecht, prélude de la fin prématurée de toute la Nouvelle-France.
Nicolas PRÉVOST
Sur Gallica (BNF), le livre de Bacqueville de la Potherie Histoire de l’Amérique septentrionale (1722) :
https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k1523643p/f11.image.r=bacqueville
Couverture et dédicace à Philippe d’Orléans, régent de France en 1722, de l’Histoire de l’Amérique septentrionale par Bacqueville de la Potherie. Bibliothèque nationale de France |