Henri Réthoré, membre d’honneur de notre association Frontenac-Amériques, a occupé la fonction de consul général de France à Québec de 1979 à 1983, un consulat très particulier.
En effet, à la différence des ambassades qui représentent les intérêts de l’État dans les pays étrangers, les consulats ont normalement la charge de s’occuper de leurs ressortissants nationaux vivant dans le pays où ils sont implantés. Or, depuis la visite de Charles de Gaulle au Québec en 1967, le consulat général de France à Québec dispose d’un statut spécial qui lui confère bien au-delà de son rôle consulaire un rôle éminemment politique, celui de la représentation de la France auprès du gouvernement du Québec à l’instar, en sens inverse, de la délégation générale du Québec à Paris. Ce statut lui permet ainsi des relations directes, de tous ordres, avec le Quai d’Orsay, l’ambassade de France à Ottawa étant seulement tenue informée des correspondances échangées. S’agissant des fonctions proprement consulaires, le Consulat de Québec couvre une grande partie du territoire québécois, et se partage la tâche avec le Consulat de Montréal qui gère en fait le plus grand nombre des français résidant dans la province.
- Le Consulat général de France à Québec
- Photo : N. Prévost
1. La prise de fonction du consul et ses attributions
Très jeune, Henri Réthoré lit des ouvrages sur le Canada français ; il est marqué par le débarquement des Canadiens à Dieppe en août 1942. Devenu diplomate, sous-directeur au Quai d’Orsay dans les années 1970, il suit de très près et avec un grand intérêt le développement de la coopération franco québécoise.
Il est donc heureux de se voir nommé au poste de consul général à Québec. Il reçoit ses instructions d’Alain Peyrefitte, alors garde des sceaux, et surtout héritier de la volonté du général de Gaulle d’entretenir avec le Québec des relations spécifiques. La ligne d’action politique qui lui est fixée, alors que le Québec s’apprête à un référendum sur sa souveraineté, est régie par une formule qui prévaut jusqu’à ce jour, celle de la « non-ingérence » et de la « non-indifférence ». Quant à son rôle personnel, ce sera sous l’appellation de « consul général », celui d’un quasi ambassadeur de la France auprès du gouvernement du Québec. Il devra veiller au maintien des liens tout à fait particuliers que la France entend avoir avec le Québec.
Henri Réthoré arrive au Consulat en 1979 : il découvre son nouveau lieu de travail, ses interlocuteurs. Il se présente au Premier ministre québécois, René Lévesque, qui tout de suite le frappe par la chaleur de son accueil, son autorité naturelle, sa simplicité. Il prend contact avec l’ambassade de France à Ottawa.
La journée du Consul est variée : revue de la presse québécoise et canadienne, réunions de service avec les collaborateurs, analyses diverses, information du ministère des Affaires étrangères, entrevues avec les autorités québécoises, avec le cas échéant des négociations, les collègues consuls étrangers, les universitaires, les milieux d’affaires, etc. Elle se complète avec les fameux cocktails diplomatiques (qui au-delà de leur aspect mondain permettent l’établissement de très utiles contacts), les manifestations culturelles, la réception des ministres et parlementaires, des membres des assemblées territoriales, des nombreux artistes, écrivains, hommes d’affaires français en visite. Le consul parcourt aussi, jusque dans le grand nord, l’immense Québec pour y rencontrer les autorités locales, les associations régionales de « Québec France », les Français, de nombreuses installations industrielles, telles les impressionnantes centrales hydrauliques de la baie James.
Henri Réthoré se souvient spécialement d’avoir organisé, entre bien d’autres, le séjour de Charles Fiterman, le tout premier ministre communiste (sous le gouvernement de Pierre Maurois) à venir en Amérique du Nord. Un événement suivi avec attention par la presse locale ! Mais une visite réussie et n’ayant posé aucun problème, ce qui n’était pas toujours le cas du fait des exigences voire des caprices de certains visiteurs, parfois aussi de la manifestation de certains, quelque peu excessive au regard de la règle de « non ingérence, non indifférence », de leur émotion enthousiaste face à l’accueil chaleureux qui leur est réservé, parfois au contraire du refus d’autres de comprendre et d’admettre la volonté de leurs interlocuteurs québécois d’œuvrer pour l’accession du Québec à la souveraineté. Parmi les temps forts de ces visites figuraient celle du Premier Ministre, à l’occasion des rencontres annuelles alternées, quasi institutionnelles, des chefs des gouvernements français et québécois, ainsi que les escales toujours appréciées des bâtiments de notre marine nationale.
Une mission au Québec, pour un diplomate, se traduit en règle quasi générale par l’établissement de liens personnels, à nuls autres pareils, avec le pays, les gens... La découverte de ce que, jusque dans les régions les plus éloignées, grâce à la volonté farouche des Québécois, la langue française a survécu, très vivante, une île dans cet océan anglophone de l’Amérique du Nord, est profondément émouvante.
Mais la mission à l’époque n’est certes pas sans difficultés et pièges. Ceux-ci découlent bien entendu de la situation de province du Québec par rapport au gouvernement fédéral du Canada à Ottawa et du caractère exceptionnel voulu par la France de ses relations avec le Québec. Le consul général au cœur du triangle Paris Québec Ottawa doit donc faire preuve de vigilance, et de rigueur lorsqu’il s’agit de l’essentiel, pour prévenir les réactions imprévues à tel ou tel projet ou circonstance. Souvent, il est confronté à des problèmes jugés à tort mineurs par les observateurs extérieurs, les conflits protocolaires (accueil, drapeaux, ville choisie pour le début des visites...).
2. Un double contexte politique
La période de fonction consulaire d’Henri Réthoré se fait dans un double contexte politique : le référendum sur la souveraineté-association au Québec (mai 1980) et l’arrivée de la gauche au pouvoir en France (mai 1981).
Henri Réthoré assiste à la campagne pour le référendum au résultat duquel la France, si le « oui » à la souveraineté l’emporte, ne devrait et ne pourrait rester « indifférente ». Il observe avec attention les pressions du gouvernement fédéral (Pierre-Eliott Trudeau) sur les électeurs québécois, notamment en suscitant l’inquiétude des plus âgés (menaces sur leurs retraites, perte des « Montagnes Rocheuses », fuite des capitaux...), ainsi que l’hostilité au « oui » des Américains, qui feignent de voir un Québec indépendant devenir un « nouveau Cuba ». Le référendum se tient le 20 mai 1980, c’est un échec pour le Parti québécois (PQ) au pouvoir qui l’a décidé (60% de « non » - 40% de « oui »). René Lévesque fait alors un discours extrêmement émouvant, les gens pleurent. Lévesque promet « À la prochaine fois ! ». Les manifestations de tristesse dans les rues de Montréal et de Québec sont très nombreuses. Le gouvernement français envoie un message de sympathie au gouvernement québécois qui va se maintenir au pouvoir aux élections suivantes.
L’autre événement est l’arrivée de la gauche au pouvoir en France en 1981, avec l’inquiétude d’une modification de la politique française à l’égard du Québec pour lequel, en effet, François Mitterrand n’a jamais exprimé de sympathie particulière. Pour sa première visite au Canada à l’occasion du G7, le Président se rend à Ottawa mais pas au Québec. Il a toutefois un entretien avec René Lévesque à Ottawa. Cette rencontre sans chaleur particulière, et cela déçoit un peu les Québécois, est néanmoins positive. Lévesque est satisfait parce que Mitterrand se prononce pour la continuité des relations franco-québécoises sous la forme en vigueur depuis 1967. Il résiste aux tentatives du gouvernement fédéral et de son chef charismatique, le redoutable Trudeau, pour faire sauter la spécificité des relations Paris-Québec, et « normaliser » celles-ci, c’est-à-dire obtenir de la France qu’elle respecte dans sa politique un ordre hiérarchique entre le Canada État souverain et la province de Québec.
3. Les sommets de la Francophonie et la participation du Québec
Le sommet de la Francophonie est voulu par la France, par le président du Sénégal Léopold Senghor et par le Canada. Pierre Trudeau refuse que le Québec y participe directement. Selon lui, seul le Canada peut être membre de ce sommet regroupant des États souverains. Pourtant, le Québec obtient gain de cause (avec le ferme appui de la France), et peut participer à part entière aux sommets de la Francophonie.
Conclusion
En dépit des tentatives de « normalisation » menées par le gouvernement canadien, avec parfois le concours de l’ambassade de France à Ottawa, le cap est résolument maintenu et rien n’est changé aux règles fixées par la France, notamment à celle de la « non ingérence non indifférence » qui a fait ses preuves. Le statut hors norme du consulat général à Québec est intégralement préservé. Les relations avec le Québec continuent à se développer et bien en dehors du cadre strict des accords de coopération. Ceci va très au-delà du séjour québécois d’Henri Réthoré.
L’héritage du général de Gaulle en la matière a donc continué heureusement, pour la France comme pour le Québec, à porter ses fruits sous les présidences successives de Valéry Giscard d’Estaing, de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Henri Réthoré garde pour sa part un souvenir exceptionnel des années passées au Québec, comme le montrent les liens qu’il y a noués et qu’au-delà des années il y conserve.