Parmi les grands héros de l’histoire du Canada français, Louis Riel (1844-1885) occupe une place tout à fait particulière dans la mémoire collective du pays.
Photo de Louis Riel en 1870 entouré des membres du gouvernement provisoire de la Rivière Rouge. Bibliothèque et Archives du Canada |
Louis Riel est né dans la matinée du 22 octobre 1844 dans la colonie de la Rivière Rouge à Saint-Boniface, actuelle province canadienne du Manitoba, et il est baptisé l’après-midi du même jour par Monseigneur Joseph-Norbert Provencher, premier évêque de Saint-Boniface. Membre d’une fratrie de onze enfants, il est le fils de Louis Riel (1817-1864), dont il porte aussi le prénom, et de Julie Lagimodière (1822-1906). Ses grands-parents maternels, Jean-Baptiste Lagimodière (1778-1855) et Marie-Anne Gaboury (1780-1875), des Canadiens-français nés dans la région de Trois-Rivières au Québec, sont parmi les pionniers installés dans l’ouest du Canada. Le père de Louis Riel, prénommé donc comme lui, est également un Canadien-français, fils de Jean-Baptiste Riel (1785-1868) et de Marguerite Boucher (née en 1792) mais comptant dans ses ancêtres plusieurs Amérindiens. C’est pourquoi Louis Riel, bien que majoritairement d’origine canadienne-française, se qualifie de « Métis » : les Métis forment ainsi un peuple installé dans le centre du Canada et formé de descendants d’Européens, surtout Canadiens-français, et d’Amérindiens, dont la langue est alors majoritairement le français.
Carte établie par l’Université d’Ottawa |
Dans les années 1860, alors que la Nouvelle-France a été cédée aux Anglais depuis déjà un siècle, les francophones hors du Québec perdent progressivement leurs droits, et le processus s’accélère avec la formation de la confédération canadienne en 1867 entre les provinces du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Dans l’Ouest, la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest sont exploités par deux compagnies de commerce anglaises : la Compagnie de la Baie d’Hudson, majoritairement anglophone, et la Compagnie du Nord-Ouest, majoritairement composée de Canadiens-français.
En 1869, suite à l’achat de ces territoires de l’Ouest canadien par le gouvernement fédéral, le Canada colonise ces terres, dont les habitants ne sont bien sûr consultés à aucun moment, en envoyant de nombreux colons anglophones. Or, ces colons venus pour la plupart de l’Ontario sont en voie de dépasser en nombre les Métis, les Amérindiens et les Canadiens-français, qui craignent de se faire exproprier et de perdre leur terre. Les Métis francophones de la Rivière Rouge (actuelle Winnipeg) organisent alors un groupe de résistance pour se rebeller contre le gouvernement canadien et établissent leur propre gouvernement dirigé par un des leurs : Louis Riel. Chef charismatique, Louis Riel fait entendre la voix des Métis lors de la « Rébellion de la Rivière Rouge » (1869-1870) et plus tard de la « Rébellion du Nord-Ouest » (1884-1885). La première rébellion, celle de la Rivière Rouge se met donc en marche en 1869. Alors qu’en 1869 Louis Riel et ses amis prennent victorieusement Fort Garry, un important poste de traite de la Compagnie de la baie d’Hudson, ils imposent l’autorité de leur gouvernement provisoire. Louis Riel demande au gouvernement canadien de reconnaitre les droits ancestraux territoriaux, linguistiques et religieux des Métis en plus de reconnaître leur autonomie politique.
Après plusieurs phases de négociations, le gouvernement du premier ministre fédéral anglo-canadien John A. MacDonald (1815-1891) accepte dans un premier temps plusieurs des revendications de Louis Riel. C’est ainsi notamment qu’est créé le Manitoba, la cinquième province canadienne, afin que les Métis francophones puissent y vivre tout en conservant certains droits quant à leurs terres et à leurs langues (à ce moment-là, le français est largement majoritaire dans le Manitoba). Mais, menacé par le pouvoir colonial anglo-canadien, Louis Riel s’exile dans le Dakota du Nord puis dans le Montana aux États-Unis. Les conditions de vie des Métis se dégradent alors et plusieurs sont contraints de quitter le Manitoba pour la Saskatchewan.
Devant les difficultés de son peuple, Louis Riel revient en 1884 au Canada pour mener la deuxième rébellion, « la Rébellion du Nord-Ouest », cette fois-ci dans la Saskatchewan, qui est écrasée par l’armée anglo-canadienne lors de la bataille de Batoche du 9 au 12 mai 1885. Louis Riel est emprisonné par les forces anglo-saxonnes qui lui infligent une parodie de procès à Régina à la fin juillet 1885. Les six jurés retenus pour le tribunal sont tous Britanniques et protestants (le seul juré catholique, un Irlandais, avait été exclu sous prétexte qu’il n’était pas d’origine britannique) et ne parlent pas le français. Les « témoins » sont tous à charge. Lors de sa prise de parole, Louis Riel réaffirme les droits inaliénables des Métis et déclare : « La vie, sans la dignité de l’intelligence, ne vaut pas d’être vécue. »
Le Premier ministre fédéral John A. MacDonald, cohérent avec ses convictions orangistes, refuse d’entendre toutes les protestations, qui se font vives, notamment au Québec, et déclare que Louis Riel sera pendu « même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur. » Le jour funeste arrive finalement et Louis Riel est pendu le 16 novembre 1885 à Régina. L’émotion au Québec est alors immense, en particulier à Montréal. De nombreuses lettres sont écrites dans tout le Canada français par des catholiques francophones qui voient en Louis Riel un énième martyr des anglo-protestants. Selon un journal francophone de l’Ontario, la seule raison pour laquelle on a trouvé Riel coupable « est qu’il ne s’appelait pas Rielson. » La presse canadienne-française présente le Premier ministre du Canada et le parti conservateur comme des assassins. Le futur Premier ministre du Québec Honoré Mercier (1840-1894), dans un célèbre discours au Champ-de-Mars de Montréal le 22 novembre 1885, déclare de manière très émouvante devant 50.000 Canadiens-français réunis pour l’écouter : « Riel, notre frère, est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était le chef. »
Le corps supplicié de Louis Riel est récupéré pour être exposé dans un premier temps dans la maison familiale à Saint-Vital près de Saint-Boniface au Manitoba. Puis, après une messe d’obsèques dans la cathédrale catholique de Saint-Boniface, il est inhumé le 12 décembre 1885 dans le cimetière de Saint-Boniface où il se trouve toujours. Il laisse une veuve, Marguerite Monet dite Belhumeur (1861-1886) et deux enfants : Jean Riel (1882-1908) et Angélique Riel (1883-1897). Les deux enfants, qui avaient déjà, un mois avant la mort de leur père, perdu un petit frère mort-né le 21 octobre 1885, perdent leur maman quelques mois plus tard le 24 mai 1886 à Saint-Boniface. La mort de Louis Riel précipite le déclin des Métis francophones puisque leurs terres sont ensuite spoliées en masse au profit des nouveaux colons anglais, tandis que la langue française décline à une vitesse extrêmement importante. Le coup de grâce arrive même en 1890 quand le Manitoba décide d’interdire complètement la langue française et de supprimer les droits des écoles confessionnelles catholiques, reniant totalement les engagements de 1870…
Photo de Jean Riel et Angélique Riel, enfants de Louis Riel et de Marguerite Monet. Bibliothèque et Archives du Canada |
Acte de mariage de Jean Riel (1882-1908), fils de Louis Riel et de Marguerite Monet, avec Laura Casault (1879-1976) le 25 mars 1908 en l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec (registre paroissial). Bibliothèque et Archives nationales du Québec |
La popularité de Louis Riel ne cesse pourtant ensuite de grandir. Il devient un des grands personnages symboliques de la cause amérindienne et canadienne-française. Le 10 mars 1992, le parlement fédéral canadien à Ottawa reconnaît même Louis Riel comme le fondateur du Manitoba. Il est populairement considéré comme un héros, victime non seulement d’une politique raciste menée par le gouvernement de John A. MacDonald, mais aussi plus généralement victime de l’impérialisme colonial anglo-saxon. Plusieurs statues de Louis Riel sont érigées dans le pays, notamment à Ottawa et à Winnipeg. De nombreuses rues portent le nom de Louis Riel, aussi bien au Québec que dans tout le Canada. Les œuvres, aussi bien littéraires que musicales qui lui sont consacrées, sont aussi très importantes. À Saint-Vital près de Winnipeg, la « Maison Riel », maison de la famille maternelle de Louis Riel, est devenue un musée national. Il existe même une « Journée Louis Riel » le troisième lundi de février, jour férié au Manitoba, pour se souvenir de ce grand héros, et le gouvernement manitobain célèbre aussi régulièrement le 16 novembre, jour de la pendaison du chef Métis, par un discours d’hommage. Enfin, et surtout, Louis Riel reste le symbole de l’homme qui défend sa terre, sa culture, sa spiritualité et qui se dresse contre ce qui semble être l’inéluctable. Il est incontestablement un magnifique modèle de patriotisme, de fidélité et de dévouement.
Timbre canadien de 2019 rendant hommage à Louis Riel pour les 150 ans de la Rébellion de la Rivière Rouge. Postes Canada |