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Nouvelle-France, Canada, Canada français ou Québec ?

vendredi 30 novembre 2012, par Nicolas Prévost

Quand la France prend pied en Amérique du Nord, avec Jacques Cartier en 1534 puis Samuel de Champlain au début du 17ème siècle, l’immense territoire qui va du Saint-Laurent aux Grands-Lacs prend le nom de « Nouvelle-France ». L’objectif est bien la création d’une nouvelle France. Les autres pays européens font d’ailleurs de même avec la Nouvelle-Angleterre (les Treize-Colonies) et la Nouvelle-Espagne (le Mexique). Très rapidement, et dès l’époque de Jacques Cartier, on donne aussi à la Nouvelle-France le nom amérindien de « Canada », qui signifie « le village » en langue algonquine. Par contre, jamais ce territoire ne s’appelle alors le Québec : Québec désigne uniquement la ville, capitale de la Nouvelle-France, fondée par Samuel de Champlain en 1608.

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Carte de la Nouvelle-France, par le géographe français Henri Chatelain (Paris, 22 février 1684 - Amsterdam, 19 mai 1743)
Carte de la Nouvelle-France, « où se voit le cours des Grandes Rivières de Saint-Laurent et de Mississipi aujourd’hui Saint-Louis, aux environs desquelles se trouvent les États, pays, nations, peuples, etc. de la Floride, de la Louisiane, de la Virginie, de la Marie-Lande, de la Pensilvanie, du Nouveau Jersay, de la Nouvelle Yorck, de la Nouvelle-Angleterre, de l’Acadie, du Canada, des Esquimaux, des Hurons, des Iroquois, des Ilinois etc. et de la Grand île de Terre Neuve : dressée sur les mémoires les plus nouveaux recuillis pour l’établissement de la Compagnie Française Occident. »

À la veille de la cession de la Nouvelle-France en 1763 par la France à l’Angleterre, les Français du Canada se nomment eux-mêmes « Canadiens » et se différencient déjà des Français de France. En effet, l’éloignement d’avec la France et l’appropriation rapide du pays ont pour conséquence qu’ils ne se sentent plus français depuis longtemps. Ainsi, dans les années 1750, observant la « canadianisation » des colons français du Saint-Laurent, certains voyageurs français prédisent même qu’ils se révolteront un jour contre la métropole pour proclamer leur indépendance du roi de France. Comme on le sait, l’histoire ne leur en laisse pas le temps...

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« France Nouvelle-France, naissance d’un peuple français en Amérique »
Affiche de l’exposition du 20 mai au 12 octobre 2008 au Musée de la Pointe-à-Callière à Montréal

En 1763, Louis XV (1715-1774) abandonne sur les rives du Saint-Laurent des milliers de colons français qui occupent la terre depuis le début du XVIIe siècle. Au lieu de devenir autonomes ou indépendants, les Canadiens sont livrés à une puissance étrangère hostile, qui va en partie déstructurer leur société naissante. La colonisation britannique est sans aucun doute l’événement fondateur de la société canadienne-français puis québécoise.

La guerre d’indépendance américaine, débutée en 1776 après la déclaration d’indépendance du 4 juillet par les colons anglo-américains des Treize-Colonies, s’achève en 1783 par les traités de Versailles et de Paris. La France de Louis XVI (1774-1793) y apporte une aide décisive avec le général La Fayette, mais alors que les colons américains prennent leur indépendance de l’Angleterre, le Canada français reste, lui, ironie de l’histoire, territoire britannique car la France y renonce définitivement, pour des raisons inexpliquées.

Rebaptisé entre temps « Province of Quebec », du nom de la capitale Québec (d’où l’expression Le Québec), le Canada reçoit alors son premier contingent d’Anglais loyalistes, c’est-à-dire ceux qui refusent l’indépendance des États-Unis et qui veulent rester fidèles à la Couronne britannique. Tous les colons anglophones qui viennent par la suite s’installer au Canada ne se disent pas Canadiens mais « Anglais » ou « Briton » comme ils se surnomment. Pour eux, le terme « Canadien » est péjoratif et désigne tout simplement les Français vaincus. D’ailleurs, les Anglais ne se mélangent pas véritablement aux Canadiens puisqu’en 1791, la Loi constitutionnelle divise la « Province of Quebec » en deux parties : le Haut-Canada (futur Ontario) majoritairement anglophone et le Bas-Canada (futur Québec) majoritairement francophone.

Au début du XIXe siècle, le Parti Canadien est un parti politique dont le but est de défendre les intérêts des Canadiens face aux Anglais. Quant à la France, elle oublie presque complètement ses enfants laissés en Amérique du Nord, puisqu’elle est par exemple totalement indifférente à la Révolte des Patriotes de 1837, lors de laquelle un journal français titre même « Encore des colons anglais qui se révoltent » !

Pourtant, à la fin du XIXe siècle, après la création de la confédération canadienne de 1867, les Anglais, toujours attachés aux symboles britanniques, s’inquiètent du manque de signes de leur appartenance au Canada. De plus, certaines familles anglaises sont présentes sur le sol canadien depuis plusieurs générations. Ils s’approprient alors la canadianité et commencent à se nommer Canadiens (« Canadians »). Les francophones, les anciens canadiens, rajoutent à leur appellation l’adjectif « français », devenant ainsi dans le langage courant des « Canadiens-français ».

En 1896, Wilfrid Laurier devient Premier ministre fédéral du Canada. Originaire du Québec, il est le premier francophone à occuper ce poste. Bien que très fédéraliste (il parle couramment et avec aisance les deux langues du Canada), il avoue tout de même en 1911, à la fin de ses fonctions de Premier ministre : « Chaque fois que je retourne dans ma province [le Québec], je regrette d’y constater qu’un sentiment y existe que le Canada n’est pas fait pour tous les Canadiens. Nous sommes forcés d’arriver à la conclusion que le Québec seul est notre patrie, parce que nous n’avons pas de liberté ailleurs. » Cette phrase nous montre que les Canadiens-français sont de plus en plus nombreux, au tournant du siècle, à s’interroger sur l’étendue de leur patrie. Est-ce le Canada entier ? Est-ce plutôt seulement le Québec ? Comme le dit l’historien Craig Brown, « à l’extérieur du Québec, le Canada se veut un pays de langue anglaise » .

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), après un siècle d’appartenance à un Canada majoritairement anglophone, et à la veille de la Révolution Tranquille qui fait entrer le Québec dans la modernité, la majorité des Canadiens-français se rend définitivement compte que la seule partie du territoire canadien où il leur est possible de vivre et de s’épanouir en français est le Québec, considéré par beaucoup de francophones comme leur « seule patrie ». Ils cessent alors de s’appeler Canadiens-français pour devenir des Québécois : ils s’appuient ainsi sur un territoire administrativement défini, le Québec, expression politique du Canada français, ce qui renforce la volonté des francophones canadiens de se constituer en nation. L’identité n’est plus seulement ethnique (c’est-à-dire suivant l’origine française) mais territoriale. La langue française se détache en partie du groupe ethnique canadien-français et se rattache à l’ensemble des habitants du territoire québécois. Les Canadiens-français hors Québec, parfois présents sur le sol américain depuis le XVIIe siècle, mais très souvent d’origine québécoise, deviennent donc des Franco-ontariens, Franco-manitobains, Fransaskois...

Les États-généraux du Canada français de 1967 définissent l’État québécois comme le lieu incontournable du développement des Canadiens-français, cela confirme bel et bien la fin du Canada français et l’essor de la notion de « Québécois ». Le Canada français se confondant alors avec le Québec, ce sont donc les « anciens Canadiens », après avoir été Canadiens-français, qui deviennent enfin Québécois.

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