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1622, Molière, Frontenac et le Tartuffe

samedi 30 mars 2013, par Nicolas Prévost

Deux personnalités du 17ème siècle : Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673), plus connu sous le nom de Molière, est l’exact contemporain de Louis de Buade, comte de Frontenac ; ils sont nés tous les deux en 1622.

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Portrait de Molière par Charles-Antoine Coypel
Bibliothèque de la Comédie Française, Paris

Le plus célèbre auteur de théâtre français est né dans la « maison du Pavillon des Singes », située au croisement de la rue Saint-Honoré et de la rue des Vieilles-Étuves (actuellement rue Sauval) près des Halles dans le centre de Paris. Cette maison portait ce nom en raison d’un poteau d’angle sculpté qui représentait de jeunes singes qui, grimpés sur un arbre, secouaient les branches pour en faire tomber les fruits, ramassés par une vieux singe au pied de l’arbre. La maison est détruite par son propriétaire en 1802. Une plaque est apposée sur la façade du 2 rue Sauval donnant rue Saint-Honoré (92-94 rue Saint-Honoré) et rappelle l’emplacement de la maison natale de Molière dans l’actuel 1er arrondissement de Paris.

Fils de Jean Poquelin (1595-1669), tapissier ordinaire de la maison du roi, et de Marie Cressé (1601-1632), femme instruite et érudite, Jean-Baptiste Poquelin est baptisé le 15 janvier 1622 en l’église Saint-Eustache à Paris. Sur son acte de baptême catholique, détruit avec toutes les archives de Paris par les Communards en 1871 mais heureusement recopié par plusieurs auteurs et biographes, il est appelé Jean Poquelin (il prend par la suite le nom de Jean-Baptiste pour se distinguer de son père et d’un de ses frères) :

Acte de baptême de Molière dans le registre paroissial de l’église Saint-Eustache à Paris :
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L’église Saint-Eustache à Paris en 1620
Matthäus Mérian, Topographia galliae, BNF

« Du samedy 15e janvier 1622, fut baptisé Jean, fils de Jean Pouquelin, marchant tapissier, et de Marie Cresé, sa femme, demeurant rue Sainct-Honoré. Le parin Jean-Louis Pouquelin, porteur de grains, la marine Denis Lescacheux, veuve de Sebastien Asselin, vivant maistre tapissier. »

« Le samedi 15 janvier 1622 fut baptisé Jean, fils de Jean Poquelin, marchand tapissier, et de Marie Cressé, sa femme, demeurant rue Saint-Honoré. Le parrain Jean-Louis Poquelin, porteur de grains, la marraine Denise Lescacheux, veuve de Sébastien Asselin, vivant maître tapissier. »

Le parrain, Jean-Louis Poquelin, est le grand-père paternel de Molière.

La marraine, Denise Lecacheux, est l’arrière-grand-mère maternelle de Molière.

C’est à partir de 1644 que Jean-Baptiste Poquelin commence à se faire appeler Molière, puis il se marie le 20 février 1662 en l’église Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris. Les signatures ont été reproduites par l’archiviste Auguste Jal (1795-1873) dans son Dictionnaire critique de biographie et d’histoire (1872), consultable en ligne sur le site Gallica de la BNF.

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Signature de Molière sur son acte de mariage dans le registre paroissial de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris.

Comme on l’a vu dans l’article qui lui est consacré, Louis de Buade comte de Frontenac naît quelques mois après Molière, le 12 mai 1622, et il est baptisé le 30 juillet 1623 au château de Saint-Germain-en-Laye avec le roi de France Louis XIII pour parrain.

À propos de Saint-Germain-en-Laye, dans les registres paroissiaux de cette paroisse, on trouve la signature de Molière pour le baptême de Jeanne Catherine Pitel en date du 15 novembre 1670. Molière signe, en bas à droite de l’acte, « J. B. P. Molière » et il est qualifié de « tapissier et valet de chambre ordinaire du Roy ».
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Registre paroissial de l’église Saint-Germain à Saint-Germain-en-Laye
Archives départementales des Yvelines

On ne sait pas si ces deux personnalités se sont rencontrées. On sait par contre qu’en Nouvelle-France, pendant l’hiver 1693-1694, alors que Frontenac effectue son deuxième mandat de gouverneur, se produit « L’Affaire du Tartuffe ».

En cette fin de 17ème siècle, pendant le carnaval de Québec, les autorités de la Nouvelle-France finançaient diverses réjouissances et divertissements pour occuper la population pendant l’hiver, notamment des pièces de théâtre au château Saint-Louis. Pendant l’hiver 1693, succédant à une année sans guerre, on décide de célébrer un carnaval plus grandiose qu’à l’ordinaire. Jacques de Mareuil, lieutenant arrivé à Québec pendant l’été 1693, propose de jouer au théâtre en montant d’abord Nicodème de Corneille et Mithridate de Racine, pièces à succès en France et qui remportent le même succès en Nouvelle-France. Mareuil propose également de monter Le Tartuffe de Molière.

Mais le 16 janvier 1694, Monseigneur Jean-Baptiste de Saint-Vallier (1653-1727), évêque de Québec et successeur de Monseigneur François de Laval (1623-1708), proteste contre la mauvaise influence que la pièce de Molière pourrait avoir sur la population et demande aux curés de Nouvelle-France une condamnation ferme de cette initiative du lieutenant Mareuil et même du théâtre en général. Le 19 janvier, Mareuil, protégé par Frontenac, présente à Jean Bochart de Champigny (1645-1720), intendant de la Nouvelle-France, une requête exigeant que le père François Dupré (1648-1720), curé de Québec, lui fournisse une copie du sermon donné à la messe paroissiale mais le curé refuse.

L’affaire est alors portée devant le Conseil souverain de la Nouvelle-France. L’évêque de Québec accuse le lieutenant-comédien d’impiétés, d’impuretés scandaleuses, de manque de respect envers la foi, de discours contre Dieu, la Vierge et les saints. Le Conseil souverain demande quelques semaines pour réfléchir devant une décision qui risque de déplaire dans un cas à l’Église et dans l’autre aux militaires et bien sûr à Frontenac. Impatient, Jacques de Mareuil, le 15 mars 1694, exige par écrit que le Conseil souverain se prononce et qu’il déclare nul et abusif le mandement qui a été lu contre lui dans la cathédrale de Québec. Sur ce, le Conseil ordonne l’arrestation de Mareuil et demande à l’évêque de produire les mandements en cause. Parti alors en campagne militaire, Mareuil est arrêté le 14 octobre à son retour et on interdit au prisonnier de communiquer avec qui que ce soit.

Entre temps, pour la somme de 100 pistoles, Monseigneur de Saint-Vallier obtient de Frontenac, qui soutenait toutefois Mareuil et la pièce de Molière, de ne plus diffuser Le Tartuffe. Pourtant, le 29 novembre, le gouverneur Frontenac intervient devant le Conseil souverain de la Nouvelle France et déclare que la cause a été mal conduite, « qu’il s’y est mêlé beaucoup de partialités, de caballes et de passions particulières » et admet qu’aucune preuve n’a été apportée contre l’accusé. Jacques de Mareuil est donc remis en liberté et renvoyé en France.

L’Affaire du Tartuffe marque la disparition d’une certaine tradition théâtrale en Nouvelle-France mais le théâtre n’y cesse pas pour autant. Les écrits de Molière, grâce à Frontenac, ont donc fait une première incursion en Nouvelle-France en 1693-1694, et y seront surtout joué de nouveau à partir de la fin du 18ème siècle.

1622-2022
En 2022, on pourra célébrer cette même année le quadricentenaire de la naissance de Molière et celui de la naissance de Frontenac !
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