lundi 10 juin 2013
Le magnifique Musée de l’Amérique française, une institution de la ville de Québec dans le cadre grandiose du séminaire à proximité de la cathédrale, a récemment changé de nom. Il se nomme maintenant Musée de l’Amérique francophone. Ce changement, lourd de sens politique, est commenté par le chroniqueur Mathieu Bock-Côté dans Le Journal de Montréal du 2 mai 2013.
L’Amérique française aux poubelles, par Mathieu Bock-Côté (Le Journal de Montréal)
La nouvelle est passée sous le radar : le 16 avril, le Musée de l’Amérique française changeait de nom. Il est devenu le Musée de l’Amérique francophone. Détail insignifiant et petit coup de marketing ? Au contraire. Le directeur général du Musée de la civilisation avait vendu la mèche, en 2012, alors qu’il évoquait son changement de nom. Selon lui, la référence à l’Amérique française témoignait d’« un volet passé, très nostalgique ». « Nostalgique », la mémoire des origines ? Cela avait inspiré ce commentaire cinglant à l’historien Gaston Deschênes : « Un musée dont le nom évoque le passé, c’est effectivement ennuyeux ». Dans les faits, ce changement de nom révèle l’appauvrissement de notre rapport au passé. L’Amérique française est une réalité historique. L’Amérique « francophone » est un concept sans profondeur historique qui dissout nos origines françaises dans la rectitude politique. Derrière le changement de nom du musée, il y a changement de vocation. Mémoire nationale Mais faut-il s’en surprendre ? Car cette tentation est partout visible. Et notamment dans le système d’éducation, où la référence à la Nouvelle-France a été marginalisée au profit de l’histoire des Amérindiens, devenue hégémonique. Pire : lorsqu’on parle de la Nouvelle-France, c’est pour la diaboliser. On la caricature en puissance esclavagiste, alors que l’esclavage n’a jamais été un pilier de la colonie. Pire encore, on assimile la Conquête anglaise à un progrès démocratique. De la Nouvelle-France, il faudrait avoir honte. D’ailleurs, sur le site du ministère de l’Éducation, on réduit la Nouvelle-France à une vague d’immigration et à un moment démographique parmi d’autres dans la construction du Québec. Il ne s’agit plus d’un moment fondateur, porteur de sens. Je cite le ministère : « D’abord occupé par une population autochtone, le Québec a successivement accueilli des arrivants de France, des îles britanniques, puis d’un nombre toujours croissant de pays. Il reçoit plus de 38 000 nouveaux arrivants par année ». Il n’y a plus de noyau fondateur au Québec. On savait que les Québécois avaient un rapport trouble à leur passé. Qu’ils ont moins pour devise Je me souviens que « Je m’en fous un peu et je veux aller magasiner ». Mais on s’attendait à ce que les institutions gardent vivante la mémoire nationale. L’Amérique française, c’est une histoire dont il faut raconter les grandeurs et les misères. C’est celle des colons qui ont bâti le pays. C’est aussi celle des coureurs des bois qui ont bâti un empire commercial. Le Québec hérite de cette histoire et la prolonge. Il devrait assumer ses quatre siècles. Mémoire des fondateurs D’ailleurs, nous n’avons pas toujours été amnésiques. La mémoire de la Nouvelle-France servait à nommer le pays. De Jacques Cartier à Samuel de Champlain en passant par Maisonneuve et Jeanne Mance, nous avons déjà eu la mémoire des fondateurs. Sans une mémoire vivante de la Nouvelle-France, c’est notre propre paysage architectural et urbain qui devient incompréhensible. Et je me demande : quelle place réservera-t-on à la Nouvelle-France lors du 375e anniversaire de la fondation de Montréal ? À force de se faire trahir par ses institutions, le peuple québécois devient étranger à sa propre histoire. Il en a une vision folklorique. Faut-il se surprendre qu’il devienne peu à peu indifférent à sa propre identité ? |